Après l'abrogation de l'arrêt Roe v Wade par la Cour suprême des États-Unis le 24 juin 2022, les travailleurs du secteur technologique et les défenseurs de la vie privée ont exprimé leurs inquiétudes quant à la manière dont les données privées stockées par les plateformes en ligne pourraient à l'avenir être utilisées contre les personnes souhaitant avorter. Cependant, Facebook n'a pas attendu la décision de la Cour suprême des États-Unis pour commencer à collaborer avec les forces de l'ordre. Dans le cadre d'une plainte pour avortement illégal, il s'est conformé à un mandat du Nebraska début juin, et a fourni des informations privées sur les accusées.
L'enquête aurait été lancée en avril. Les procureurs du comté de Madison, au Nebraska, affirment que Jessica Burgess, 41 ans, a acheté et donné des pilules abortives à sa fille, Celeste, qui avait 17 ans à l'époque, et l'a ensuite aidée à enterrer puis réenterrer le fœtus. Les deux femmes ont été inculpées le mois dernier et ont plaidé non coupables. Le dossier de l'État s'appuie sur des preuves tirées des messages privés de l'adolescente sur Facebook. Les messages, divulgués récemment, montrent que la mère et la fille auraient acheté en ligne des médicaments pour provoquer un avortement, puis se seraient débarrassées du corps du fœtus.
Selon les documents de justice, Celeste serait enceinte de 23 semaines. Mais juste avant l'abrogation de Roe v Wade, le Nebraska a promulgué une loi selon laquelle l'avortement est illégal après 20 semaines de grossesse. Selon une déclaration sous serment du détective Ben McBride de l'unité d'enquête de la police de Norfolk, la police a commencé par un tuyau d'une femme qui se décrit comme une amie de Celeste et qui dit l'avoir vue prendre la première pilule en avril. McBride a déclaré que Celeste a dit aux détectives avoir fait une fausse couche alors qu'elle était enceinte d'environ 23 semaines, peu après avoir pris la pilule abortive.
L'affidavit de McBride indique explicitement que la police a exhumé le fœtus : « la cause exacte [de la mort] était inconnue, mais les poumons n'indiquaient pas qu'ils avaient contenu de l'air. Un rapport d'autopsie final a déclaré que la cause de la mort était indéterminée. Les constatations étaient cohérentes avec le fait que le fœtus était mort-né, mais le placement du fœtus dans un sac en plastique soulève la possibilité d'une asphyxie par suffocation ». McBride a déclaré au tribunal que les forces de l'ordre avaient besoin de preuves provenant de Facebook afin de déterminer "si le bébé était mort-né ou asphyxié par les Burgess".
McBride a ensuite demandé et obtenu un mandat en juin pour accéder à la vie numérique de la mère et de sa fille. Facebook stocke la plupart des informations des utilisateurs en clair sur ses serveurs, ce qui signifie que l'entreprise peut y accéder si elle y est contrainte par un mandat. Selon plusieurs sources, l'entreprise se conforme régulièrement aux demandes des forces de l'ordre. Les discussions présumées, publiées dans des documents judiciaires, semblent montrer que Celeste et Jessica parlent de prendre des médicaments pour l'avortement. Dans un extrait, Celeste a également dit à Jessica : « n'oublie pas qu'on va brûler les preuves ».
Ces discussions ont ensuite été utilisées par la police comme base principale pour obtenir un deuxième mandat de perquisition, dans lequel 13 ordinateurs portables et smartphones ont été saisis chez les Burgess. En tout, cela représenterait 24 gigaoctets de données, y compris des images, des messages et des historiques Web de leurs téléphones ont été extraits pour l'affaire. « Je sais, de par ma formation et mon expérience antérieures, que les personnes impliquées dans des activités criminelles ont fréquemment des conversations concernant leurs activités criminelles par le biais de divers sites de réseaux sociaux », a déclaré McBride.
Jessica Burgess est accusée de cinq crimes (trois délits, dont "pratiquer/tenter un avortement à plus de 20 semaines, pratiquer un avortement par un médecin non agréé et enlever/concevoir un cadavre". Celeste est accusée d'un crime, "déplacement/concellement/abandon d'un cadavre humain" et de deux délits : dissimulation de la mort d'une autre personne et fausse déclaration. Elle a désormais 18 ans et est jugée en tant qu'adulte. Jessica Burgess et sa fille auraient été aidées par un homme de 22 ans pour enterrer le fœtus. L'homme, Tanner Barnhill, est accusé de tentative de dissimulation de la mort d'une autre personne, un délit.
De son côté, Facebook s'est défendu en déclarant que la société ignorait que les mandats étaient en rapport avec un cas d'avortement. « Rien dans les mandats valides que nous avons reçus des forces de l'ordre locales début juin, avant la décision de la Cour suprême, ne mentionnait l'avortement. Les mandats concernaient des charges liées à une enquête criminelle et les documents judiciaires indiquent que la police enquêtait à l'époque sur le cas d'un bébé mort-né qui a été brûlé et enterré, et non sur une décision d'avorter », a déclaré un porte-parole de Meta, la société mère de Facebook, dans un communiqué mardi soir.
Facebook et d'autres plateformes en lignes ont précédemment refusé de dire s'ils donneraient aux forces de l'ordre des données relatives à des affaires d'avortement. Cette affaire montre que Facebook, au moins, le fera et l'a déjà fait. En outre, c'est le type d'affaire que les experts en droit de l'avortement s'attendent à voir voir se multiplier dans un monde post-Roe. Ils craignent en effet que les communications numériques, les données de localisation, les informations de suivi des applications périodiques ou d'autres données privées soient utilisées contre les personnes concernées pour criminaliser l'avortement.
Lors d'une réunion générale de Meta le 30 juin, le PDG Mark Zuckerberg a répondu à une question d'un employé sur les mesures prises par l'entreprise pour protéger les utilisateurs qui souhaitent avorter. « La protection de la vie privée des personnes est toujours importante, je comprends que cela soit particulièrement important en ce moment [avec] la décision de la Cour suprême et ce qui touche spécifiquement à la vie privée. Mais cela a toujours été une chose qui nous tient à cœur », aurait dit Zuckerberg. Il aurait ajouté que le chiffrement est l'un des moyens de protéger les gens contre les éventuelles chasses à l'homme.
Mais les critiques ne croient pas aux déclarations de Meta. « Ces géants de la technologie ont accumulé une quantité insondable de données sensibles sur chacun d'entre nous. Ils vont consciencieusement se conformer aux demandes d'assignation comme celle-ci dans un monde post-Roe. Cela transforme leurs produits omniprésents en armes qui seront brandies contre leurs propres utilisateurs », a déclaré au Post Jesse Lehrich, cofondateur de Accountable Tech. Meta s'est également attiré les foudres des défenseurs de l'avortement pour avoir retiré de Facebook et Instagram des messages sur les pilules abortives.
Certaines femmes pourraient ne pas pouvoir y avoir accès à la suite de la décision de la Cour suprême. Des annonceurs et des utilisateurs réguliers proposant d'envoyer des pilules à des utilisatrices dans des États où l'avortement est illégal ont vu leurs messages supprimés pour avoir violé les normes communautaires des sites. Facebook aurait confirmé aux médias qu'il n'autoriserait pas les particuliers à offrir ou à vendre des produits pharmaceutiques sur sa plateforme, mais qu'il autoriserait les contenus partageant des informations sur la manière d'obtenir des pilules.
Jake Laperruque, directeur adjoint de la surveillance au Center of Democracy and Technology, un groupe de réflexion qui promeut les droits numériques, a déclaré que les entreprises technologiques stockant des informations en clair sur les utilisateurs qui ont l'intention d'avorter vont probablement continuer à recevoir des mandats alors que de plus en plus d'États poursuivent les crimes liés à l'avortement. « Si elles ne veulent pas se retrouver à transmettre des données de manière répétée pour des enquêtes sur l'avortement, elles doivent repenser leurs pratiques en matière de collecte, de stockage et de chiffrement des données », a-t-il mis en garde.
Sources : Déclaration sous serment de Ben McBride (PDF), Documents judiciaires
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