Le gouvernement vietnamien semble avoir revu ses exigences à la hausse en exigeant le retrait des opinions qu'il juge "erronées" des sites de médias sociaux dans les 24 heures suivant la notification. Le ministre vietnamien de l'Information et des Communications, Nguyen Manh Hung, a déclaré au Parlement qu'il y avait un risque que "les fausses nouvelles, si elles sont traitées lentement, se répandent très largement". Selon le ministre, les sanctions actuellement appliquées au Vietnam pour la publication de "fausses informations" ne représentent qu'un dixième du niveau imposé par les pays d'Asie du Sud-Est. Hung prévoit d'augmenter les amendes.
En outre, le gouvernement vietnamien compte aller plus loin que le retrait des contenus "faux" en 24h. Comme l'ont rapporté certaines sources la semaine dernière, les exigences augmentent. Peu importe qui fournit des services de médias sociaux aux résidents vietnamiens, c'est le gouvernement qui décidera de ce à quoi les citoyens ont accès. « Le Vietnam prépare de nouvelles règles pour limiter les comptes de médias sociaux qui peuvent publier des contenus liés à l'actualité », ont déclaré trois personnes au fait de la question. Les nouvelles règles devraient imposer une charge de modération importante aux fournisseurs de plateformes.
« Les règles, qui devraient être annoncées d'ici la fin de cette année et dont les détails restent à préciser, établiraient une base juridique pour contrôler la diffusion des informations sur des plateformes comme Facebook et YouTube », ont ajouté deux des sources. S'adressant au Parlement, Hung a proposé de traiter complètement la "News-lisation" d'ici 2023, un terme utilisé par les autorités pour décrire les cas où les gens sont induits en erreur en pensant que les comptes de médias sociaux sont des organes d'information autorisés. Les critiques s'inquiètent du fait que ces lois pourraient donner aux autorités plus de pouvoir pour réprimer les dissidents.
Selon plusieurs rapports sur le sujet, pendant des années, le gouvernement vietnamien a utilisé les services en ligne pour contrôler le récit, en faisant pression sur les bureaux locaux des services de médias sociaux basés aux États-Unis pour faire taire les résidents mécontents. Lorsque ces entreprises technologiques ont répliqué, le gouvernement vietnamien a redoublé d'ardeur, exigeant que les données soient conservées localement afin de pouvoir appliquer ses lois aux services basés aux États-Unis. Ces dernières années, afin de préserver l'Internet local des voix dissidentes, le gouvernement vietnamien a décidé de créer une police de l'Internet.
La "Force 47" employait des milliers de personnes chargées d'enterrer les "opinions erronées" sur les responsables et les activités du gouvernement. Malheureusement, les fournisseurs d'accès américain auraient largement permis à ces voix d'être réduites au silence. En 2017, Facebook aurait affiché un taux de conformité inconvenant de 90 % aux demandes du gouvernement vietnamien, assurant au gouvernement qu'il pouvait contrôler le récit sur la plus grande plateforme de médias sociaux au monde. Selon les analystes, Facebook est contraint de se conformer aux règles, car le Vietnam représente un marché important pour la plateforme.
Selon les données de 2021, le Vietnam est l'un des 10 premiers marchés mondiaux pour Facebook, avec 60 à 70 millions d'utilisateurs, et des sources familières avec la question ont déclaré qu'il générait environ 1 milliard de dollars de revenus annuels pour la société. Facebook engrangerait plus de revenus au Vietnam qu'en France. En outre, selon les propres estimations du gouvernement vietnamien pour 2021, YouTube compte 60 millions d'utilisateurs au Vietnam et TikTok en compte 20 millions, bien que Twitter reste un acteur relativement petit. Les analystes indiquent que les nouvelles règles constituent un casse-tête pour ces entreprises.
Si les nouvelles règles entraient en vigueur, elles pourraient limiter la diffusion d'informations aux organes de presse contrôlés par l'État, empêchant ainsi les citoyens d'avoir accès à des points de vue opposés ou à un journalisme indépendant qui mettrait à mal la version officielle. En ciblant Facebook et YouTube, les destinations les plus courantes des utilisateurs de médias sociaux pourraient devenir des chambres d'écho du gouvernement. Selon les sources au fait du dossier, la crainte présumée est que les internautes vietnamiens puissent croire que les services de médias sociaux sont des sources d'information légitimes.
Les critiques estiment qu'il s'agit d'une insulte aux utilisateurs, qui savent très probablement que Twitter, Facebook et YouTube ne produisent pas leur propre contenu d'information. Selon eux, il s'agirait d'un moyen pratique de tirer parti de cette idée fausse et délibérée pour empêcher le partage d'informations réelles par les utilisateurs - des informations qui pourraient être en contradiction avec les récits officiels. Comme souligner plus haut, le parti communiste au pouvoir pratique depuis longtemps la censure et cible la dissidence, de manière directe ou indirecte, afin de réduire les critiques au minimum.
« La question n'est pas de savoir si le parti au pouvoir va transformer cette proposition en loi. Il le fera très certainement », affirment les critiques. Selon eux, la vraie question est de savoir à quel point ces services seront obligeants et à quelle fréquence ils se plieront aux nouvelles exigences du gouvernement. L'enjeu est de taille et les entreprises américaines devront décider si le fait d'aider le gouvernement vietnamien dans sa nouvelle campagne de censure est un compromis acceptable pour accéder à des millions d'utilisateurs. Rappelons que le principal argument de vente de la plupart de ces plateformes est la liberté d'expression.
Aucune des parties concernées n'a publié de déclaration ou de commentaire sur les règles proposées. Les critiques estiment que l'absence d'objections immédiates de la part de Facebook et de YouTube est bien plus inquiétante. Peut-être sont-ils silencieux parce qu'ils ne veulent pas montrer qu'ils ont choisi de subvertir ou se rebeller contre ces mandats proposés. Mais il se pourrait aussi qu'ils soient silencieux parce qu'aucun d'entre eux ne veut perdre l'accès à des millions d'utilisateurs, même si cela signifie rester les bras croisés pendant qu'une population réprimée subit encore plus de répression.
« Et moins vous faites de bruit pendant le processus de proposition, moins vous risquez d'attirer l'attention lorsque les règles entreront en vigueur. La fidélisation des utilisateurs dure plus longtemps que les cycles d'information - ce qui est bien plus rentable à long terme que les positions de principe. Espérons que ce ne soit pas le cas, mais en l'état actuel des choses, rien dans le dossier ne vient contredire cette perception », affirment les critiques. Le gouvernement vietnamien n'a toutefois pas défini clairement ce qu'est un "faux" contenu. Ces règles reflètent en outre une loi française votée il y a un peu plus de deux ans.
En mai 2020, la France a voté une loi pour lutter contre les contenus haineux en ligne. La loi impose aux géants du Web le retrait de contenus "haineux" dans un délai de 24h. En ce qui concerne les contenus ciblés, ce sont ceux qui font l’apologie de certains crimes, incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence ou niant les crimes contre l’humanité. Sont aussi sous le coup de la loi les injures aggravées, le harcèlement sexuel, les contenus pédopornographiques ainsi que la provocation au terrorisme ou son apologie. Précisons que le retrait devra se faire dans l'heure pour les contenus à caractère terroriste et pédopornographique.
« Lorsque l’opérateur faisant l’objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut prononcer une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent, le montant le plus élevé étant retenu », lit-on dans le texte. Le montant devra prendre en considération la gravité des manquements ainsi que, le cas échéant, leur caractère réitéré. Le texte vise aussi à simplifier le processus de notification de sorte qu'il soit facile de signaler des contenus illicites. Mais la loi est critiquée, certains l'ayant jugée anticonstitutionnelle.
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