Avec l'avènement des réseaux sociaux et la montée en puissance de la diffusion en direct, le besoin en bande passante des plateformes a considérablement augmenté. Cela a poussé les télécoms à renforcer leurs infrastructures pour continuer à supporter l'augmentation du trafic sur leurs réseaux.
Les opérateurs de télécommunications se plaignent depuis longtemps d'avoir dépensé une fortune pour construire les réseaux de données du monde entier et de voir les géants Américains de la technologie en tirer la plus grande partie des bénéfices. Les groupes de télécommunications estiment que les plateformes comme Amazon Prime et Netflix requièrent d'énormes quantités de données et devraient donc payer une partie de la facture pour l'ajout de nouvelles capacités afin de faire face à cette pression accrue. « L'argument simple est que les opérateurs de télécommunication veulent être dûment rémunérés pour avoir fourni cet accès et cette croissance du trafic », a déclaré Paolo Pescatore, analyste des médias et télécommunications chez PP Foresight. Les opérateurs s'inquiètent du manque à gagner pour les applications d'appels vocaux en ligne telles que WhatsApp et Skype.
Ils les considèreraient comme des services de « parasitisme ». En 2012, l'Association européenne des opérateurs de réseaux de télécommunications (ETNO) a appelé à une solution qui verrait les entreprises de télécommunications conclure des accords individuels de compensation de réseau avec les entreprises Big Tech. Mais cela n'a jamais vraiment débouché sur quoi que ce soit. Les régulateurs se sont prononcés contre la proposition, estimant qu'elle pourrait causer un "préjudice important" à l'écosystème de l'Internet.
Mais cela ne les a pas découragé pour autant. En effet, dans une annonce publiée le 29 novembre 2021, les PDG de 13 grandes sociétés de télécommunications européennes, dont Orange pour la France, ont appelé ces enseignes à supporter une partie des coûts de mise à niveau des réseaux des fournisseurs d'accès à Internet en Europe.
« Nous, les PDG des principales entreprises de télécommunications européennes, appelons les décideurs politiques de l'UE à aligner étroitement les ambitions numériques de l'Europe sur un écosystème politique et réglementaire favorable. Le rôle mondial de l'Europe ne peut se limiter à l'achat et à la réglementation des technologies construites par d'autres : nous avons maintenant besoin d'une action concrète et immédiate pour saisir l'opportunité et alimenter davantage l'innovation technologique inclusive », ont déclaré ces PDG membres de l'ETNO. La déclaration a été signée par les PDG d’Orange Group, KPN, Altique Portugal, Deutsche Telekom, BT Group, Telia Company, Telefónica, Vodafone Group, Swisscom, A1 Telekom Austria Group, Vivacom, Proximus Group et Telenor Group.
Au fil des mois, n'ayant pas eu un retour positif, la bataille a pris une nouvelle tournure : l'idée bénéficie désormais d'un soutien politique dans certains pays de l'Union européenne. Mais tous les régulateurs ne sont pas d'accord, et la manière dont ces frais d'accès au réseau fonctionneraient dans la pratique suscite de nombreuses inquiétudes.
Les États-Unis volent au secours de leurs champions en brandissant la carte de la neutralité du Net
C'est dans ce contexte qu'il y a quelques jours, la National Telecommunications and Information Administration (ou NTIA), au nom des États-Unis, a déposé des réponses à plusieurs questions posées dans la consultation publique de la Commission européenne concernant les investissements dans les réseaux de communications numériques européens. Pour mémoire la NTIA est une agence du département du Commerce des États-Unis qui sert de principal conseiller du président des États-Unis pour les politiques de télécommunications relatives au progrès économique et technologique des États-Unis et à la réglementation du secteur des télécommunications.
« Imposer des paiements directs aux opérateurs de télécommunications dans l'UE en l'absence d'assurances sur les dépenses pourrait renforcer la position dominante sur le marché des plus grands opérateurs », indique l'agence. « Cela pourrait donner aux opérateurs un nouveau goulot d'étranglement sur les clients, augmenter les coûts pour les utilisateurs finaux et modifier les incitations pour les CAP/LTG [fournisseurs de contenu et d'applications et grands générateurs de trafic] à prendre des décisions efficaces concernant l'investissement et l'interconnexion du réseau. Il est difficile de comprendre comment un système de paiements obligatoires imposé uniquement à un sous-ensemble de fournisseurs de contenu pourrait être appliqué sans porter atteinte à la neutralité du net ».
Les fournisseurs européens de haut débit ont déclaré dans leurs commentaires qu'ils devraient être autorisés à exiger de nouveaux frais auprès des entreprises en ligne qui représentent plus de 5% du trafic de pointe moyen d'un FAI. Ils ont affirmé que l'Europe avait besoin « d'une contribution équitable basée sur un cadre permettant des négociations équilibrées entre les opérateurs de télécommunications et les grands générateurs de trafic qui tirent le meilleur parti des investissements dans les télécommunications, tout en créant une charge coûteuse avec leur trafic et en exerçant un pouvoir disproportionné sur les marchés ».
Les FAI européens ont plaidé pour des paiements directs des entreprises technologiques plutôt que de faire payer les entreprises technologiques à un fonds géré par le gouvernement qui distribuerait de l'argent aux FAI. Les paiements des entreprises technologiques aux FAI « devraient être basés sur des négociations commerciales inscrites dans un cadre qui oblige les parties à négocier », avec le soutien d'un tiers neutre pour résoudre les différends, ont déclaré les FAI.
Les États-Unis estiment que leurs entreprises investissent déjà énormément
L'administration Biden a souligné que les entreprises technologiques investissent déjà beaucoup d'argent dans les réseaux :
Les services Internet dépendent d'une infrastructure mondiale diversifiée qui s'étend bien au-delà des réseaux d'accès des utilisateurs finaux. Les CAP/LTG construisent et exploitent des réseaux, y compris de grands systèmes internationaux de fibre optique et de câbles sous-marins, qui fournissent des services et des applications populaires. Ils développent ou acquièrent du contenu, exploitent des centres de données et contractent d'autres obligations qui contribuent aux coûts totaux de l'écosystème.
La NTIA a expliqué que l'approche américaine du financement de la construction du réseau « implique des investissements privés, un fonds national de service universel et un financement public important provenant de crédits généraux ». Les États-Unis ont déclaré que ces « mécanismes de financement publiquement responsables », contrairement aux paiements obligatoires d'un ensemble d'entreprises à un autre, sont essentiels pour « éviter les mesures discriminatoires qui faussent la concurrence ».
Les États-Unis ont également averti que les paiements obligatoires seraient « non durables » si davantage de pays les adoptaient.
« Nous appelons à la prudence si l'UE envisageait de nouveaux mécanismes de financement susceptibles de perturber l'écosystème Internet actuel, qui s'est adapté avec succès à l'évolution des conditions technologiques et du marché au fil du temps », a déclaré la NTIA. « Le trafic Internet est mondial, ce qui soulève des questions quant à la capacité d'un pays à percevoir des revenus auprès de fournisseurs de contenu étrangers*; si de nombreux pays empruntaient cette voie, ce serait probablement insoutenable ».
Un groupe de l'UE met en garde contre les hausses de prix et l'impact sur les petits FAI
Outre les critiques de Meta, Google et Netflix, la proposition de redevance a été critiquée par l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (également connu sous son sigle anglais BEREC). Il s'agit d'une instance indépendante européenne basée à Riga (Lettonie) qui rassemble les régulateurs des vingt-sept États membres de l'Union européenne (Autorités réglementaires nationales ou ARN) et neuf « régulateurs observateurs », ainsi qu'un conseil d'administration et un personnel administratif (incluant des fonctionnaires communautaires).
Le BEREC a déclaré n'avoir trouvé aucune preuve de free-riding par les entreprises technologiques ou de preuve que les coûts des FAI ne sont pas entièrement couverts.
« L'instauration d'une contribution financière obligatoire des grands CAP aux FAI risque de fausser la concurrence entre les acteurs du marché », estime l'instance. « Les petits FAI sont susceptibles d'être désavantagés par rapport aux grands FAI, notamment en raison de leur plus petit nombre d'utilisateurs finaux et de leur pouvoir de négociation plus faible. Les grands CAP fournissent généralement des réseaux de diffusion de contenu commerciaux (CDN) et des services cloud. Ainsi, ils pourraient répercuter des coûts plus élevés sur leurs clients. Cela n'affecterait alors pas seulement, par exemple, les plus petits CAP, mais aussi les utilisateurs professionnels, en particulier les PME [petites et moyennes entreprises] ».
Le BEREC a également déclaré qu'il existait un risque que les clients des fournisseurs de contenu, y compris les petites et moyennes entreprises, soient « affectés négativement lorsque les coûts plus élevés sont répercutés sur des frais plus élevés pour les abonnements au contenu ou que la qualité du service est réduite ».
Sources : NTIA (1, 2), BEREC
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