Lancé en grande pompe en juillet 2013, le moteur de recherche Qwant était censé devenir le « Google français » et avait promis de libérer la France et l'Europe du joug des géants asiatiques et américains de la recherche en ligne. Mais cette fougue n'a pas duré assez longtemps.
Une enquête publiée le 18 mai 2020 par Le Média a révélé que Qwant ne mériterait pas la couverture médiatique qui le présente comme un modèle de success-story. Mais ce serait plutôt les relations de ses actionnaires et dirigeants avec des personnalités au plus haut de l'État qui lui ont permis d'avoir son statut.
« Sur le papier, cela pourrait passer pour une success-story. Mais en réalité, Qwant ne marche pas, ou mal. Ses résultats sont tirés principalement du moteur de recherche Bing, de Microsoft ; ils sont souvent datés, peu fiables, peu pertinents, limités en nombre. C’est le constat tiré par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) dans une note confidentielle datée du mois d'août 2019, que s’est procuré Le Média », explique le Marc Endeweld du site Le Média.
La note a été rédigée par des agents de la direction interministérielle du numérique (ex Dinsic), de l’ANSSI (l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), du ministère des Armées et de l’École normale supérieure. Tous ont été chargés de réaliser un audit d’une journée chez Qwant, en vue de son installation sur les ordinateurs de l’administration publique.
Les années de gestion de Qwant ont été catastrophiques. Elles se sont accompagnées d'une montagne de dettes que l'entreprise peinait à rembourser.
En effet, plusieurs enquêtes ont révélé au fil des ans que Qwant termine chaque année dans le rouge. Par exemple, en 2019, les pertes de Qwant se sont creusées de 50 %, à 23,5 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de seulement 5,8 millions d'euros. Un an plus tôt, le moteur de recherche avait perdu 13,8 millions d’euros. Malgré un chiffre d’affaires bas, et des pertes considérables répétées, Qwant a une charge salariale importante - avec un niveau de rémunération apparemment trop élevé. La société a donc décidé à l'été 2020 de se séparer du quart de son effectif. La manœuvre devait lui permettre de réduire ses coûts.
Mais il était aussi question pour Qwant de se concentrer sur son principal service qu'est son moteur de recherche. Avant cela, en avril 2020, la société avait procédé à un remaniement de sa direction. Ainsi, de nombreux responsables ont quitté l'entreprise en 2020 et au cours de ces derniers mois. Après les départs, en septembre 2021, de Guillaume Champeau, chargé de l'éthique et des affaires juridiques, Hugo Venturini, le CTO et Nam Ma Kim, qui s'occupait du marketing, le directeur de la stratégie Sébastien Ménard a lui aussi quitté l'entreprise en décembre. Néanmoins, les pertes pour 2020 se chiffraient à environ 13 millions d'euros.
Qwant espérait retrouver l'équilibre en 2021. Mais toujours en difficulté, l'entreprise a demandé en juin 2021 à ses actionnaires d'approuver un prêt d'environ 8 millions d'euros de la part du géant chinois des télécommunications Huawei. Le financement devrait se faire via des obligations convertibles de Hubble, le fonds de capital-risque du géant chinois basé à Hong Kong. Pour rassurer les sceptiques sur la potentielle entrée de la firme chinoise au capital de Qwant, un porte-parole de la Caisse des Dépôts a déclaré qu'il s'agit d'un investissement via une obligation, ce qui n'est pas synonyme d'une entrée de Huawei dans le capital de Qwant.
En novembre, Guillaume Champeau, désormais directeur juridique de Clever Cloud, a laissé entendre que le mal est plus profond et a défendu le parcours de Qwant, ainsi que les investissements publics dans le projet. Il estime d'ailleurs que ces fonds étaient insuffisants. « Un jour, les médias réaliseront que Qwant n’a jamais eu un problème de surfinancement, mais de sous-financement. L’État est venu compenser le déficit d’investissements privés européens pour créer un moteur européen, dont on a besoin », a déclaré Champeau dans un tweet.
Il a ajouté : « dépendre des Américains ou des Asiatiques pour nous dire selon leurs critères à eux ce qui est intéressant et pertinent sur Internet quand on recherche de l’information, c’est un problème démocratique et stratégique. Donc oui, la puissance publique est venue abonder au maigre financement privé de Qwant, mais la réalité est qu’il aurait fallu beaucoup plus ».
En décembre dernier, au bord de la faillite, Qwant a obtenu un sursis auprès de la Banque européenne d'investissement.
Vient alors Octave Klaba
Octave Klaba avait annoncé les couleurs au micro de BFMTV : proposé des bouquets de services de productivité pour des entreprises (communication, collaboration, etc.) en s'appuyant sur des entreprises européennes (ce que les journalistes ont interprété comme étant « faire un Google européen »).
Selon lui, il y a de la matière en Europe pour développer des alternatives européennes aux services proposés par les GAFAM :
« Il y a 4 ou 5 ans, quand j'ai commencé à bosser sur les services SaaS, durant une année j'ai rencontré à peu près 200 startups qui étaient dans ce domaine. En fait, en Europe il y a tout. Tous les services que vous pouvez imaginer, vous les avez. Ce qui manque, c'est la masse critique ; c'est-à-dire que vous avez de petites entreprises qui ont développé un truc génial, mais elles n'ont pas la capacité d'être rentables parce qu'elles n'ont pas assez de clients. Je me suis dit qu'il fallait quelqu'un qui les aide à s’agréger sur le plan du capital ou du commercial afin de créer quelque chose qui puisse faire sens en termes de clients mais aussi de revenus ».
Pour créer la masse critique, selon lui, un moteur de recherche semble être un bon point de départ. Dans la vidéo, rendez-vous à 3:10 pour comprendre son raisonnement.
C'est l'une des raisons pour lesquelles il s'est intéressé à Qwant, qui serait « un bon départ pour pouvoir proposer tous ces services là ». Bien entendu, Octave Klaba n'a pas l'intention de l'utiliser tel quel (rappelons que le moteur se sert en grande partie des résultats de recherche de Bing, ce serait donc contre-productif de le garder comme il est s'il faut des services essentiellement européens) : il est question entre autres de refaire le moteur.
L'annonce du rachat
Elle a été faite sur son Twitter :
Suite au POC de (new) Qwant et vos feedbacks, avec Miro, mon frère, et la Caisse des Dépôts, nous avons décidé de finaliser la création de Synfonium qui va maintenant racheter 100% de Qwant et 100% de Shadow. Synfonium est détenue à 75% par Jezby Venture & Deep Code et à 25% par la CDC. Le closing interviendra cet été.
À la rentrée, nous allons revenir sur les détails stratégiques de ce qu’on va construire pour vous mais aussi comment nous souhaitons intégrer tout l’écosystème de la tech EU dans l’aventure. Vous y retrouverez le moteur de recherche, les services gratuits, la suite collaborative, le social login, mais aussi les services de nos partenaires tech.
L’un de rôles de Synfonium est de créer la masse critique des utilisateurs et des clients B2C & B2B qui vont pouvoir utiliser tous ces services gratuits et payants. Aujourd’hui les boites tech SaaS bossent chacune dans leurs coins. Demain nous voulons co-construire cette plateforme avec l'écosystème pour rendre visible toute cette tech européenne et lui trouver les utilisateurs puis les clients.
Le chemin est long, complexe et couteux, mais il y a une vraie attente d’avoir cette plateforme dans le Cloud SaaS EU qui respectent nos valeurs et nos lois européennes. Je ne sais pas si on va tout réussir ou une partie ou rien du tout mais au lieu de dire que c’est impossible, que c’est perdu d’avance, qu’on n’a pas assez de moyens, nous, on va essayer.
Je compte sur vous pour nous aider à bâtir cette plateforme, en tant que le partenaire tech, en étant l’utilisateur et pourquoi pas un jour en tant que client. « Faire partie de l’écosystème Synfonium », c’est comme ça qu’on va mesurer le success du projet.
À la rentrée, nous allons revenir sur les détails stratégiques de ce qu’on va construire pour vous mais aussi comment nous souhaitons intégrer tout l’écosystème de la tech EU dans l’aventure. Vous y retrouverez le moteur de recherche, les services gratuits, la suite collaborative, le social login, mais aussi les services de nos partenaires tech.
L’un de rôles de Synfonium est de créer la masse critique des utilisateurs et des clients B2C & B2B qui vont pouvoir utiliser tous ces services gratuits et payants. Aujourd’hui les boites tech SaaS bossent chacune dans leurs coins. Demain nous voulons co-construire cette plateforme avec l'écosystème pour rendre visible toute cette tech européenne et lui trouver les utilisateurs puis les clients.
Le chemin est long, complexe et couteux, mais il y a une vraie attente d’avoir cette plateforme dans le Cloud SaaS EU qui respectent nos valeurs et nos lois européennes. Je ne sais pas si on va tout réussir ou une partie ou rien du tout mais au lieu de dire que c’est impossible, que c’est perdu d’avance, qu’on n’a pas assez de moyens, nous, on va essayer.
Je compte sur vous pour nous aider à bâtir cette plateforme, en tant que le partenaire tech, en étant l’utilisateur et pourquoi pas un jour en tant que client. « Faire partie de l’écosystème Synfonium », c’est comme ça qu’on va mesurer le success du projet.
Shadow, le cloud computing pour tous
Shadow est une start-up française fondée en 2015, qui propose un service de cloud computing permettant d’accéder à un ordinateur virtuel puissant depuis n’importe quel appareil connecté à internet. Shadow se distingue notamment par son offre de cloud gaming, qui permet de jouer à des jeux vidéo gourmands en ressources sans avoir besoin d’une console ou d’un PC performant.
Shadow a connu des difficultés financières en 2020, en raison d’une croissance trop rapide et d’un manque de financement. La start-up a été placée en redressement judiciaire en mars 2021 et a été reprise par Octave Klaba en avril 2021 pour un montant de 30 millions d’euros. Klaba a alors promis de relancer Shadow avec une nouvelle offre commerciale et une nouvelle stratégie technique.
Synfonium, un projet européen ambitieux
Synfonium est le nom du groupe européen de services informatiques que veut créer Octave Klaba avec Qwant et Shadow. Selon le fondateur d’OVHcloud, Synfonium a vocation à rassembler “le moteur de recherche, les services gratuits, la suite collaborative, le social login (un système d’authentification), mais aussi les services de nos partenaires tech”. L’objectif est de proposer une plateforme dans le cloud qui respecte les valeurs et les lois européennes, et qui concurrence les géants américains du web comme Google ou Microsoft.
Octave Klaba reconnaît que le chemin est « long, complexe et coûteux », mais il affirme qu’il y a « une vraie attente » pour ce type de projet. Il compte sur la collaboration des acteurs européens de la tech pour bâtir ce géant du numérique. Il annonce que les détails stratégiques de Synfonium seront dévoilés à la rentrée 2023.
Source : Octave Klaba
Et vous ?
Que pensez-vous du projet de Synfonium ?
Utilisez-vous Qwant ou Shadow ? Si oui, quels sont les points forts et les points faibles de ces services ?
Quels sont les enjeux de la souveraineté numérique européenne ?
Quels sont les services gratuits ou collaboratifs que vous aimeriez voir proposés par Synfonium ?
Faites-vous confiance à Octave Klaba pour réussir ce pari ? Pourquoi ?