Le Royaume-Uni continue à élaborer son projet de loi sur la sécurité en ligne (Online Safety Bill) et les dispositions qu'il contient donnent des sueurs froides à toute l'industrie technologique. Ce projet de loi tentaculaire donne au gouvernement britannique la possibilité d'introduire des portes dérobées dans les services de messagerie, ce qui détruira le chiffrement de bout en bout. Il introduit le concept de "restriction préalable" : il permet d'interdire un contenu avant publication ou de bloquer la publication sans procédure régulière, ce qui peut être interprété comme un filtre. Aucun amendement susceptible d'atténuer les éléments les plus dangereux du projet de loi n'a été accepté.
Le projet de loi britannique sur la sécurité, qui trouve son origine dans un livre blanc sur "les préjudices en ligne" (Online Harms) datant maintenant de plus de quatre ans, constituerait la réglementation la plus étendue jamais adoptée en matière d'Internet. Autrement dit, il donnerait au gouvernement britannique un contrôle sans précédent sur l'infrastructure Internet. S'il est adopté, le projet de loi sur la sécurité en ligne exigera des logiciels approuvés par le gouvernement dans les services de messagerie utilisés par des millions de citoyens britanniques. Cela signifie que les fournisseurs seront tenus d'introduire des portes dérobées dans leurs services.
Il exigerait le filtrage des contenus, ainsi que des contrôles d'âge pour l'accès aux contenus érotiques. Le projet de loi exige également que des rapports détaillés sur l'activité en ligne soient envoyés au gouvernement. Le but déclaré de tout ceci est, entre autres, la protection des enfants en ligne. Et pour cela, le gouvernement britannique veut s'octroyer le droit d'analyser chaque message en ligne à la recherche de contenus liés à la maltraitance des enfants ainsi que le matériel d'abus sexuel d'enfants (CSAM). Un argument très peu convaincant. En outre, le principal signal d'alarme du projet de loi britannique est le concept de "restriction préalable".
Il s'agit du concept d'interdiction de contenu avant publication, ou de blocage de la publication sans procédure régulière, qui peut être interprété comme un "filtre de téléversement". Le projet de loi exige des propriétaires de plateformes en ligne qu'ils empêchent les utilisateurs de rencontrer des contenus illicites. Il confère à l'Ofcom (l'autorité britannique de régulation des communications) le pouvoir d'exiger des services de messagerie chiffrés qu'ils filtrent les communications des utilisateurs. Cela pourrait modifier fondamentalement la communication en ligne en imposant "une restriction préalable par le biais de l'IA ou d'autres systèmes automatisés.
Selon les critiques, si le projet de loi est adopté, la législation étouffera la liberté d'expression en bloquant le contenu jugé "illégal" sans aucune explication, notification ou procédure régulière pour l'utilisateur censuré. Dans ce cas, des gens pourraient voir leur vie et leur carrière détruites pour s'être exprimées, pour avoir remis en question le récit "officiel" ou pour avoir proposé des méthodes d'atténuation différentes de celles adoptées par des technocrates non élus et non tenus de rendre des comptes. Les critiques estiment qu'une fois voté, le projet de loi sur la sécurité en ligne constituera un énorme pas en arrière pour la protection de la vie privée.
Au cours des dix dernières années, les gouvernements, les Big Tech et les médias d'entreprise ont fortement ébranlé leur crédibilité et ont érodé la confiance du public qu'ils ont tous trahi au-delà de toute rédemption. Au lieu de penser ces plaies encore "béantes", ils tentent de faire passer en force une nouvelle législation, des règles supplémentaires et des algorithmes opaques qui viseraient à pénaliser davantage la dissidence, à criminaliser la pensée non conforme et, comme l'explique clairement de nombreux experts, à violer les droits de l'homme universels. Ironiquement, le gouvernement britannique affirme que la proposition protège la vie privée.
L'EFF (Electronic Frontier Foundation) dénonce la législation : « avoir une conversation privée est un droit humain fondamental. Pour que ces droits se concrétisent dans le monde numérique, la meilleure technologie dont nous disposons est le chiffrement de bout en bout. Or, il est totalement incompatible avec la technologie d'analyse des messages approuvée par le gouvernement et exigée par le projet de loi sur la sécurité en ligne. Nous le répétons depuis plusieurs années : il n'existe pas une porte dérobée au chiffrement qui ne serait utilisée que par les "bons" ». Selon le groupe, le monde deviendrait très dangereux avec de telles lois et réglementations.
« Saper le chiffrement, que ce soit en l'interdisant, en faisant pression sur les entreprises pour qu'elles l'abandonnent ou en exigeant un balayage côté client, sera une aubaine pour les mauvais acteurs et les États autoritaires », a déclaré l'EFF. Les entreprises qui fournissent des messageries chiffrées - telles que WhatsApp, Signal et Element, basée au Royaume-Uni - ont également expliqué le danger que représente le projet de loi. Dans une lettre ouverte publiée en avril, elles ont expliqué que le projet de loi pourrait briser le chiffrement de bout en bout, ouvrant la porte à une surveillance routinière, générale et indiscriminée des messages personnels.
Apple a rejoint ce groupe en juin, déclarant publiquement que le projet de loi menace le chiffrement et pourrait mettre les citoyens britanniques en plus grand danger. Face à cette vague de résistance, le gouvernement britannique a réagi en agitant les mains et en niant la réalité. Dans une lettre de réponse à la Chambre des Lords consultée par l'EFF, le ministre britannique de la Culture, des Médias et des Sports se contente de ressasser un monde imaginaire dans lequel les messages peuvent être scannés tout en préservant la vie privée de l'utilisateur. Cependant, tous les experts du domaine s'accordent à dire qu'un tel système n'est pas réalisable.
« Nous avons déjà vu des entreprises développer de telles solutions pour des plateformes avec le chiffrement de bout en bout. L'Ofcom devrait être en mesure d'exiger l'utilisation de ces technologies et, lorsque des solutions prêtes à l'emploi ne sont pas disponibles, il est juste que le gouvernement montre la voie en explorant ces technologies. Nous attendons de l'industrie qu'elle construise des solutions robustes pour les plateformes/services individuelles qui garantissent à la fois la vie privée et la sécurité des enfants en empêchant le matériel d'abus sexuel d'enfants d'être librement partagé sur des canaux publics et privés », peut-on lire dans la lettre.
Pour les critiques, le fait que la Chambre des Lords n'ait même pas entamé un débat sérieux sur la protection du chiffrement et de la vie privée, alors qu'elle a largement eu le temps d'examiner chaque article du projet de loi, constitue un échec remarquable. Ils appellent le Parlement britannique à rejeter le projet de loi, car le balayage et la surveillance universels sont odieux pour ses propres électeurs. Une récente enquête menée auprès des citoyens britanniques a montré que 83 % d'entre eux souhaitaient bénéficier du niveau de sécurité et de confidentialité le plus élevé possible sur des applications de messagerie telles que Signal, WhatsApp et Element.
Source : Open Rights Group
Et vous ?
Quel est votre avis sur le sujet ?
Voir aussi
Contrairement au UK, l'Allemagne s'oppose aux projets de l'UE visant à affaiblir le chiffrement grâce à une analyse côté appareil, au nom de la lutte contre les abus sexuels d'enfants en ligne
Le directeur de WhatsApp déclare qu'il ne supprimera pas le chiffrement de bout en bout au profit de la loi britannique sur la sécurité en ligne, et que la société quittera le pays si elle est votée
Le PDG de Signal : « nous sommes à 1 000 % opposés à la loi britannique visant à affaiblir le chiffrement », la société annonce qu'elle fermera ses portes au Royaume-Uni si le projet de loi est voté
Apple se joint à l'opposition contre le projet de loi britannique visant à affaiblir le chiffrement pour permettre aux forces de l'ordre de lutter contre la pédopornographie
Le projet de loi britannique sur la sécurité en ligne veut filtrer les contenus avant leur publication sans aucune procédure régulière,
Ce qui pourrait limiter gravement la liberté d'expression
Le projet de loi britannique sur la sécurité en ligne veut filtrer les contenus avant leur publication sans aucune procédure régulière,
Ce qui pourrait limiter gravement la liberté d'expression
Le , par Mathis Lucas
Une erreur dans cette actualité ? Signalez-nous-la !