Avec le développement de l’économie numérique, les services des grandes plateformes en ligne sont devenus incontournables pour les utilisateurs et les entreprises. Les caractéristiques économiques de ces services en réseau ont favorisé l’émergence de monopoles, ou quasi-monopoles, difficilement contestables par des concurrents. Ces acteurs dominants ont utilisé leur pouvoir de marché et leur rôle d’intermédiaire incontournable pour mettre en œuvre des pratiques commerciales ou techniques inéquitables au détriment des entreprises utilisatrices de leurs plateformes.
Selon la Commission européenne, plus de 10 000 plateformes en ligne – dont 90% sont des petites et moyennes entreprises - opèrent en Europe, mais seules les plus grandes plateformes dites « systémiques » captent l’essentiel de la valeur du marché numérique européen.
C'est dans ce contexte que des outils de régulation ont été mis en place en amont, notamment la législation sur les marchés numériques (en anglais : Digital Markets Act, DMA) ainsi que le règlement « frère » de la législation sur les services numériques (Digital Services Act).
Le DMA vise à favoriser l’économie numérique européenne en permettant à de nouveaux acteurs de venir contester les positions de ces grandes plateformes numériques mais aussi en assurant un cadre équitable pour les relations commerciales entre les entreprises opérant sur le marché européen et ces plateformes. Avec ce règlement novateur, l’Europe se positionne à la pointe de la régulation de l’économie numérique.
Pour y parvenir, le DMA établit un ensemble de critères strictement définis pour qualifier une grande plateforme en ligne de «contrôleur d’accès». Ainsi, elle estime pouvoir cibler précisément le problème qu’elle vise à résoudre en ce qui concerne les grandes plateformes en ligne systémiques.
Ces critères sont remplis lorsqu'une entreprise:
- occupe une position économique forte, a une incidence significative sur le marché intérieur et est active dans plusieurs pays de l’UE;
- occupe une position d’intermédiation forte, ce qui signifie qu’elle relie une base d’utilisateurs importante à un grand nombre d’entreprises;
- occupe (ou est sur le point d’occuper) une position solide et durable sur le marché, ce qui signifie qu’elle est stable dans le temps; on présume que c’est le cas si la société a rempli les deux critères ci-dessus au cours de chacun des trois derniers exercices.
Le règlement couvre des services en ligne très répandus et couramment utilisés, fournis ou proposés par les grandes plateformes. Il liste dix « services de plateforme essentiels » qui posent aujourd’hui problème. Il s’agit des :
- services d’intermédiation (comme les places de marché, les boutiques d'applications) ;
- moteurs de recherche ;
- réseaux sociaux ;
- plateformes de partage de vidéos ;
- messageries en ligne ;
- systèmes d’exploitation (dont les télévisions connectées) ;
- services en nuage (cloud) ;
- services publicitaires (tels les réseaux ou les échanges publicitaires) ;
- navigateurs web ;
- assistants virtuels.
Les contrôleurs d'accès doivent notamment laisser aux entreprises utilisatrices la possibilité de promouvoir leurs offres et conclure des contrats en dehors de leurs services de plateformes. Ils doivent également faciliter l’accès des entreprises opérant sur leurs plateformes aux données essentielles générées par les interactions entre ces entreprises et leurs clients finaux. Le DMA limite également la capacité d’action d’un contrôleur d’accès lorsque celui-ci joue à la fois le rôle de plateforme et d’intervenant sur la plateforme pour réaliser des ventes en propre. Enfin, les contrôleurs d'accès doivent permettre aux utilisateurs de désinstaller les applications qui sont préinstallées sur leurs smartphones et leur laisser la possibilité de choisir leurs services par défaut (moteurs de recherche, navigateurs) et leur magasin d’application.
Des premiers résultats encourageants
Les navigateurs sont des logiciels qui aident les utilisateurs à se connecter à Internet et sont traditionnellement proposés gratuitement par de grandes entreprises technologiques telles qu’Apple et Google, en échange du suivi des sites Web visités par les consommateurs et de la vente de publicités ciblées. Sur les appareils mobiles fonctionnant sous Android, le navigateur Chrome est préinstallé, tandis que les iPhone disposent de Safari, ce qui en fait les navigateurs dominants sur le marché.
Cependant, depuis l'entrée en vigueur du DMA, le navigateur basé à Chypre, Aloha, a enregistré une augmentation de 250 % de ses utilisateurs dans l’UE en mars, faisant partie des premières entreprises à fournir des chiffres de croissance mensuels depuis l’entrée en vigueur des nouvelles réglementations. Fondé en 2016, Aloha se présente comme une alternative axée sur la confidentialité par rapport aux navigateurs détenus par les géants de la technologie. Il compte 10 millions d’utilisateurs mensuels en moyenne et génère des revenus grâce à des abonnements payants, plutôt que par le suivi des utilisateurs pour la publicité.
« Auparavant, l'UE était notre quatrième marché, aujourd'hui elle est notre deuxième marché », a déclaré Andrew Frost Moroz, PDG d'Aloha, lors d'une interview.
D’autres navigateurs tels que Vivaldi (Norvège), Ecosia (Allemagne) et Brave (États-Unis) ont également vu leur nombre d’utilisateurs augmenter suite à la nouvelle réglementation. DuckDuckGo (États-Unis), qui compte environ 100 millions d’utilisateurs, et son grand rival, Opera (Norvège), connaissent également une croissance de leur base d’utilisateurs, bien que le déploiement de l’écran de choix ne soit pas encore terminé. Selon Jan Standal, vice-président d’Opera, « nous enregistrons actuellement des chiffres record d’utilisateurs dans l’UE ».
En vertu des nouvelles règles de l’UE, les fabricants de logiciels mobiles doivent afficher un écran de choix permettant aux utilisateurs de sélectionner un navigateur, un moteur de recherche et un assistant virtuel lors de la configuration de leurs téléphones.
Auparavant, les entreprises technologiques telles qu’Apple et Google préconfiguraient les téléphones avec leurs services préférés, comme l’assistant vocal Siri pour les iPhone. Le changement de ces paramètres nécessitait une procédure plus complexe. Désormais, Apple affiche jusqu’à 11 navigateurs en plus de Safari sur les écrans de choix adaptés à chacun des 27 pays de l’UE, et mettra à jour ces écrans une fois par an pour chaque pays.
Bien que DuckDuckGo et Opera figurent dans la liste d’Apple dans les 27 pays, Aloha est présent dans 26 pays, Ecosia dans 13 et Vivaldi dans 8. Google affiche actuellement des choix de navigateurs sur les appareils fabriqués par la société et a annoncé que les nouveaux appareils fabriqués par d’autres entreprises utilisant le système d’exploitation Android afficheront également l’écran de choix dans les mois à venir.
Liste des navigateurs web affichés par Apple en France, Allemagne et Grèce
Envoyé par Apple
Opera a déclaré que la plupart des tendances positives sont dues au fait que les utilisateurs font d'Opera le navigateur par défaut de leurs iPhone. Cependant, les sociétés de navigateurs ont critiqué la manière dont Apple et Google ont déployé les nouvelles fonctionnalités, qu'ils ont qualifiées de lentes et maladroites, et qui, selon eux, ralentissent la migration des utilisateurs mobiles vers de nouveaux choix de navigateurs.
Mozilla, qui possède le navigateur Firefox, estime que seuls 19 % des utilisateurs d'iPhone dans la région ont reçu une mise à jour, dans le cadre d'un déploiement qui semble beaucoup plus lent que les précédentes mises à jour logicielles, a déclaré la société.
Sur les iPhone, les utilisateurs ne peuvent voir l'écran de choix que lorsqu'ils cliquent sur Safari, et une liste de navigateurs s'affiche alors sans aucune information supplémentaire, a déclaré Jon Stephenson von Tetzchner, PDG de l'entreprise norvégienne Vivaldi. « Le processus est tellement alambiqué qu'il est plus facile pour (les utilisateurs) de sélectionner Safari ou éventuellement un autre nom connu », a-t-il déclaré.
La complexité de la conception a conduit la Commission européenne à ouvrir une enquête de non-conformité pour déterminer si Apple empêche les utilisateurs d'exercer véritablement leur choix de services.
Envoyé par Commission européenne
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