He Jiayan, travaillant à partir d’archives informatiques datant d’avant l’ère de l’Internet mobile, illustre cette disparition par des exemples concrets, comme les recherches infructueuses sur des figures emblématiques telles que Jack Ma. Il démontre que, malgré l'impression d'une abondance d'informations en ligne, les données historiques précises et originales sont presque introuvables. Les anciennes plateformes, autrefois populaires, voient leurs contenus disparaître, souvent pour des raisons de rentabilité ou de conformité réglementaire. Cette tendance entraîne une perte massive de la mémoire collective, touchant non seulement la Chine, mais potentiellement le monde entier, à mesure que l'Internet mobile prend le dessus.
L'auteur met en lumière une réalité préoccupante : les serveurs et les archives numériques, autrefois perçus comme indestructible, s'avèrent incapables de conserver le passé de manière durable. En conséquence, les vingt premières années du XXIe siècle risquent de devenir une période sans archives historiques. He Jiayan évoque les tentatives de préservation comme l'Internet Archive, mais souligne leurs limites en termes de portée et d'efficacité. Ainsi, la mémoire collective des débuts de l'Internet est en train de disparaître, laissant derrière elle un vide historique significatif.
La réflexion de He Jiayan met en évidence une problématique cruciale de notre époque : la fragilité de notre patrimoine numérique. Il est indéniable que l'Internet a transformé notre manière de conserver et de transmettre l'information. Cependant, l'idée que cette transformation serait intrinsèquement durable se heurte à la réalité des suppressions massives de contenu. De l’avis de certains analystes, cette situation découle d'une conception erronée de la technologie comme garant infaillible de la mémoire collective, ignorant les contraintes économiques et politiques qui influencent sa gestion.
L'argument de l'autocensure et des impératifs économiques est particulièrement pertinent. Les entreprises, cherchant à maximiser leur rentabilité, favorisent souvent les contenus actuels et populaires, négligeant les archives. Cette dynamique économique n'est pas unique à la Chine et peut être observée globalement. La perte de données historiques en ligne met en lumière une vulnérabilité structurelle dans la gestion des archives numériques, nécessitant une réflexion sur les mécanismes de financement et de gestion des contenus historiques.
Le rôle des gouvernements dans la préservation des archives numériques est également crucial. Ils peuvent et doivent investir dans des infrastructures de sauvegarde des données, similaires aux bibliothèques et musées traditionnels. Cependant, ces initiatives doivent garantir un accès équitable et transparent aux informations tout en respectant les droits individuels à la confidentialité, posant ainsi des défis juridiques et éthiques que nous devons aborder collectivement. L'engagement des utilisateurs individuels dans la sauvegarde de leurs propres données est souvent négligé. La culture de l'éphémère, encouragée par les plateformes de médias sociaux, contraste avec la nécessité de préserver nos souvenirs numériques.
La disparition d'Internet menace la mémoire collective à l'échelle mondiale
La réflexion de He Jiayan sur la disparition progressive du contenu Internet en Chine met en lumière un phénomène préoccupant qui s'étend bien au-delà de ses frontières. En France, comme dans d'autres pays, nous observons une érosion similaire des archives numériques. La transition vers l'Internet mobile, la pression économique et la censure, bien que motivées différemment, contribuent à une perte massive de mémoire collective. Cette situation nécessite une prise de conscience urgente.
Geert Lovink, professeur à l'Université des sciences appliquées d'Amsterdam, partage une perspective alarmante sur l'avenir d'Internet, qu'il décrit comme approchant d'un « point de non-retour ». Selon Lovink, les désavantages de partager ses opinions en ligne deviendront si importants que les utilisateurs finiront par se détourner d'Internet. Dans son essai intitulé Extinction Internet, il imagine un futur où Internet disparaît partiellement, nous forçant à renoncer à notre dépendance à la technologie.
Le problème de la disparition des archives numériques soulève une question fondamentale sur la durabilité de notre mémoire collective. En France, les changements technologiques rapides et les politiques de gestion des données influencent la conservation de l'information. Par exemple, de nombreux sites web et forums français des années 2000 ont été abandonnés ou fermés, souvent sans efforts pour préserver leur contenu. La perte de ces données, souvent perçue comme non essentielle à l’époque, se révèle aujourd’hui être une lacune dans notre compréhension de l'histoire numérique récente.
Comme en Chine, les dynamiques économiques jouent un rôle crucial dans la gestion et la suppression des contenus en ligne en France. Les plateformes privilégient les contenus actuels et populaires pour maximiser les revenus publicitaires, au détriment des archives historiques. Les hébergeurs gratuits, qui autrefois soutenaient une grande diversité de contenus amateurs et hobbyistes, ont également subi des transformations majeures. Par exemple, les fermetures de services comme GeoCities ou les pages perso de Free.fr ont entraîné la perte de milliers de sites personnels et de forums.
Les gouvernements et les institutions ont une responsabilité majeure dans la préservation des archives numériques. En France, l'importance de ce rôle est reconnue à travers des initiatives comme la Bibliothèque nationale de France (BnF), qui archive une partie du web français. Cependant, ces efforts restent insuffisants face à l'ampleur de la tâche. Il est crucial que l'État investisse davantage dans des infrastructures robustes pour la sauvegarde des données numériques, tout en garantissant un accès transparent et équitable à ces archives.
En France, comme ailleurs, la culture de l'éphémère dominée par les réseaux sociaux contraste avec la nécessité de préserver nos souvenirs numériques. Il est essentiel de sensibiliser les utilisateurs à l'importance de la conservation de leurs données et de les équiper des outils nécessaires pour le faire, comme la sauvegarde régulière et la migration vers des supports plus durables.
Certains experts avancent des solutions techniques telles que la blockchain pour assurer une conservation durable des archives numériques, offrant ainsi des moyens innovants de garantir leur intégrité et leur pérennité. Toutefois, la concrétisation de ces solutions requiert un engagement collectif des développeurs, des entreprises et des organismes de régulation pour investir dans ces technologies et les intégrer à nos systèmes existants. Parallèlement, il est essentiel de stimuler un débat public sur la préservation des données numériques, impliquant tous les acteurs concernés, des utilisateurs aux experts techniques, en passant par les décideurs politiques et les chercheurs.
Il est essentiel de sensibiliser les utilisateurs à l'importance de la conservation de leurs données et de les équiper des outils nécessaires pour le faire, comme la sauvegarde régulière et la migration vers des supports plus durables. Enfin, la perte potentielle de la mémoire collective soulève des questions profondes sur notre rapport à l'histoire et à la culture. Cette réflexion doit nous inciter à reconsidérer nos priorités en matière de conservation des données, en adoptant une approche plus holistique et durable.
Source : Le Grand Continent
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Au regard de la courbe d'évolution de l'adoption d'Internet, He Jiayan « ne naviguerait pas à contre-courant ? »
Si nous acceptons que l'Internet ait une mémoire éphémère, comment assurerons-nous la transmission de notre patrimoine aux générations futures ?
Comment pouvons-nous concilier les impératifs économiques et politiques avec la nécessité de préserver la mémoire collective numérique de manière durable et accessible ?
Voir aussi :
Quand le contenu en ligne disparaît : 38 % des pages web qui existaient en 2013 ne sont plus accessibles dix ans plus tard et 54 % des pages Wikipédia contiennent au moins un lien brisé
L'internet se dirige vers un « point de non-retour », les inconvénients liés au fait de partager son opinion deviendront si importants que les gens se détourneront de l'internet, selon Geert Lovink