Qwant et Ecosia veulent se libérer de leur dépendance à Google et Microsoft
Qwant s'est donné pour mission de devenir le moteur de recherche souverain de la France et de l'Union européenne. Mais une décennie après son lancement, il n'en est rien. Qwant a promis de libérer l'Europe de sa dépendance aux géants américains de la technologie, mais en fin de compte, il est lui-même devenu très dépendant de Microsoft Bing pour ses résultats. La société ne s'avoue toutefois pas vaincue et vient de présenter un nouveau plan pour y arriver.
Qwant et Ecosia vont unir leur force en vue de créer « un index de recherche européen ». L'objectif est de réduire leur dépendance à l'égard des Big Tech américains. Pour cela, Qwant et Ecosia ont convenu de la création d'une coentreprise, appelée European Search Perspective (EUSP), dont la propriété est partagée à parts égales entre les deux sociétés. EUSP devrait être lancée début 2025 et fournira « des résultats de recherche améliorés » en français et en allemand.
Christian Kroll, PDG d'Ecosia, a déclaré que le projet a été rendu possible, en partie, par les nouvelles règles de l'Union européenne en matière de concurrence dans la technologie. La loi sur les marchés numériques (DMA), qui est entrée en vigueur au début de l'année, exige des entreprises du secteur technologique qu'elles offrent un accès équitable et raisonnable à leurs plateformes. Bien sûr, les géants américains tels que Google et Apple s'y opposent farouchement.
Dans le cas de Google, la loi exige que l'entreprise partage les données utiles à la formation d'un modèle de recherche. Néanmoins, construire un index, c'est-à-dire identifier tous les sites Web présents sur Internet et rendre leur contenu consultable, n'est pas une tâche triviale. Et faire mieux que Google, qui a perfectionné son approche au fil des décennies, est une tâche encore plus ardue. (Google est toutefois critiqué pour la dégradation de la qualité des recherches.)
Christian Kroll n'est pas inquiet en ce qui concerne les coûts de l'opération. Il affirme que les progrès technologiques ont rendu possible une indexation abordable. D'une certaine manière, il est désormais impératif de développer un index alternatif. En 2023, Microsoft Bing a augmenté les droits de licence qu'il facture à des entreprises telles qu'Eocisa et Qwant, les obligeant à réajuster leurs offres. Brave et Neeva, aujourd'hui disparu, ont pu créer leurs propres index.
Outre une quête d'indépendance et de souveraineté, l'initiative de Qwant et Ecosia vise également à proposer une alternative prônant des valeurs qui leur sont propres et surtout, notamment la confidentialité, la sécurité des données et la durabilité.
IA et élection de Donald Trump : deux des raisons soutenant le projet EUSP
Les moteurs de recherche alternatifs tels que Qwant, Ecosia et DuckDuckGo ne disposent pas de leurs propres infrastructures de base. Ils s'appuient sur des solutions fournies par les entreprises américaines. En 2023, Ecosia est passé à un mélange de résultats de recherche de Google et de Bing. Avec EUSP, Qwant et Ecosia construiront leur propre index de recherche à partir de zéro, en rassemblant notamment des résultats provenant de différents moteurs de recherche.
Qwant et Ecosia affirment que « leur nouvel index de recherche sera axé sur la protection de la vie privée » et qu'il utilisera les technologies de Qwant qui ont été remaniées en 2023. Les deux entreprises utiliseront elles-mêmes l'index de recherche, mais la technologie sera aussi mise à la disposition d'autres moteurs de recherche indépendants et d'entreprises technologiques. Qwant et Ecosia pourraient supprimer les coûts liés à l'accès aux API de Bing et de Google.
Olivier Abecassis, PDG de Qwant, explique le projet : « nous sommes des entreprises européennes et nous devons construire une technologie qui garantit qu'aucune décision d'un tiers (comme la décision de Microsoft d'augmenter les coûts d'accès à son API de recherche) ne puisse compromettre notre activité. Cela ne constitue pas une attaque contre les États-Unis ou les entreprises américaines. Il s'agit de la souveraineté de nos activités et de nos entreprises ».
Olivier Abecassis sera également le PDG de la nouvelle coentreprise EUSP. Christian Kroll a ajouté : « nous sommes très dépendants des États-Unis pour notre technologie. L'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis pourrait intensifier les tensions géopolitiques et cela pourrait être un problème pour la dépendance de l'Europe à l'égard de la technologie américaine ». Il affirme en effet que l'état actuel de l'industrie justifie pleinement leur initiative.
Christian Kroll a rappelé la perturbation de l'approvisionnement énergétique européen provoquée par l'arrêt de l'acheminement du gaz russe vers l'Europe à la suite de son invasion de l'Ukraine. Selon lui, cette situation constitue un avertissement de ce qui peut arriver lorsqu'un continent entier devient trop dépendant d'un seul pays pour une ressource clé. Et avec l'avènement de l'IA générative, les géants américains ont restreint l'accès à leurs API de recherche.
L'avènement de l'IA constitue un changement de paradigme dans la recherche pour les Big Tech américains. « Ils savent qu'ils sont assis sur une ressource très importante pour ce changement de paradigme. Oui, vous avez besoin de grands modèles de langage pour avoir de bons chatbots. Mais il faut aussi avoir accès à un bon index », explique Christian Kroll. Un index de recherche offrira les ressources nécessaires à Qwant et Ecosia pour former leurs propres modèles.
Qwant sauvé de la faillite à la suite de son rachat par le fondateur d'OVHcloud
Bien que la nouvelle initiative de Qwant est salutaire, les scandales passés ont laissé un goût amer et beaucoup de frustrations chez les consommateurs français et européens. Qwant était censé devenir le « Google français » et avait promis de débarrasser la France et l'Europe de la domination des géants asiatiques et américains de la recherche en ligne. Cependant, cette fougue n'a pas duré assez longtemps après le lancement du jeune moteur de recherche.
S'en sont suivies dix années de gestion catastrophique et une montagne de dettes que Qwant peine aujourd'hui à rembourser. Les dirigeants successifs de l'entreprise n'ont pas réussi à faire de Qwant le moteur de recherche « souverain » de la France. Il s'est avéré que Qwant terminait chaque année dans le rouge. Par exemple, en 2019, les pertes de Qwant se sont creusées de 50 %, à 23,5 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de seulement 5,8 millions d'euros.
Un an plus tôt, le moteur de recherche avait perdu 13,8 millions d’euros. Malgré un chiffre d’affaires bas, et des pertes considérables répétées, Qwant avait une charge salariale importante, avec un niveau de rémunération apparemment trop élevé. Les enquêtes ont également révélé que Qwant louait également des bureaux luxueux malgré son état financier catastrophique. La société a fait l'objet de vives critiques ces dernières années pour sa gestion désastreuse.
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« Sur le papier, cela pourrait passer pour une success-story. Mais en réalité, Qwant ne marche pas, ou mal. Ses résultats sont tirés principalement du moteur de recherche Bing, de Microsoft ; ils sont souvent datés, peu fiables, peu pertinents, limités en nombre. C’est le constat tiré par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) dans une note confidentielle datée du mois d'août 2019, que s’est procuré Le Média », explique Marc Endeweld du site Le Média.
Les défis potentiels auxquels Qwant et Ecosia pourraient faire face à l'avenir
Octave Klaba, fondateur d’OVHcloud, leader européen du cloud, a racheté Qwant et la société de cloud computing Shadow en 2023. Ces deux acquisitions s’inscrivent dans le cadre d’un projet ambitieux : créer un groupe européen de services informatiques baptisé Synfonium, qui vise à concurrencer les géants américains du Web. Dans le cadre de l'initiative EUSP lancée par Qwant et son partenaire allemand Ecosia, OVHcloud fournira l'infrastructure technique.
Ecosia détient environ 1 % du marché de la recherche en France et en Allemagne, et revendique environ 20 millions d'utilisateurs dans le monde, tandis que Qwant fait état d'environ 6 millions d'utilisateurs. Pour Ecosia et Qwant, s'attaquer à une plus grande partie du monde au-delà des utilisateurs francophones et germanophones nécessitera de réussir chez eux et d'augmenter leurs revenus, qui proviennent en grande partie de la diffusion d'annonces publicitaires.
Le défi est évident. Selon les déclarations d'Ecosia, ses ventes ont baissé de 8 % pour atteindre 24,2 millions d'euros au cours des neuf premiers mois de cette année par rapport à la même période en 2023. Des résultats plus précis ne sont pas garantis pour aider à stimuler l'entreprise ; les publicités sont toujours fournies par Microsoft et Google. Selon Christian Kroll, cela ne devrait pas changer de sitôt. Les revenus de Qwant dépendaient également de Microsoft.
Qwant et Ecosia sont disposés à lever des fonds extérieurs pour le projet EUSP et à octroyer des licences pour leur index de recherche à d'autres entreprises, y compris celles qui souhaiteraient utiliser les données pour former des systèmes d'IA. Ils prévoient de commencer à tester les résultats de recherche révisés en France au début de l'année 2025 et en Allemagne vers fin 2025. Mais les critiques restent sceptiques quant à la réussite du projet.
« Nous réunissons les ingénieurs de recherche les plus expérimentés pour mettre au point une technologie souveraine en Europe, en particulier pour les langues française et allemande, et nous sommes convaincus que cela intéressera la communauté des investisseurs », déclare Christian Kroll.
Sources : Christian Kroll, PDG d'Ecosia et Olivier Abecassis, PDG de Qwant
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