Aux États-Unis, la plateforme est accusée de menacer la sécurité nationale en raison de ses liens avec la Chine, suscitant des appels à l’interdiction ou à une vente forcée. Les critiques évoquent des risques de manipulation électorale, d’exploitation des données et d’impact sur la santé mentale, notamment chez les jeunes. Parallèlement, d'autres dénoncent une hypocrisie politique, arguant que des géants comme Meta et Google, bien que soumis à un examen réglementaire, échappent à une suspicion similaire grâce à leur origine américaine.
TikTok, avec ses 150 millions d’utilisateurs américains, reste au centre d’une bataille symbolique et juridique. Tandis que ses défenseurs mettent en avant des initiatives pour assurer la transparence et la sécurité des données, ses détracteurs y voient une menace persistante. Au-delà des accusations, la question demeure : l’application est-elle réellement un outil d’influence hostile, ou un bouc émissaire dans un monde en quête de souveraineté numérique ?
La Russie a récemment sanctionné TikTok d'une amende pour ne pas avoir supprimé des contenus interdits. En Roumanie, des élections présidentielles ont été annulées par crainte que l'application ait été utilisée pour diffuser une influence étrangère. En Albanie, TikTok a été interdit pendant un an après qu’une altercation en ligne entre deux adolescents ait conduit à un drame tragique. « Soit TikTok protège les enfants albanais, soit l'Albanie protège ses enfants de TikTok », a déclaré le Premier ministre Edi Rama sur X.
Ces événements se sont déroulés le mois dernier. Cette semaine, aux États-Unis, où TikTok compte environ 150 millions d'utilisateurs, la société et sa maison mère chinoise ByteDance ont saisi la Cour suprême pour contester une loi susceptible de forcer sa vente ou son interdiction.
La loi « Divest or Ban » : un test décisif pour TikTok et les plateformes numériques
Depuis quelques années, TikTok est sous le feu des projecteurs à l’échelle mondiale. Il a été totalement ou partiellement interdit dans une vingtaine de pays, suscitant des inquiétudes concernant ses liens avec la Chine et son influence grandissante, notamment auprès des jeunes. Malgré cette surveillance accrue, l’application reste extrêmement populaire, attirant plus d’un milliard d’utilisateurs mensuels.
En avril 2024, le président américain Joe Biden signe une loi exigeant que ByteDance, la société mère chinoise de TikTok, vende l'application à une entreprise américaine sous peine d'interdiction aux États-Unis. Cette décision repose sur des préoccupations liées à la sécurité nationale, le ministère de la Justice affirmant que TikTok représente un risque en raison de ses liens avec la Chine et de sa capacité à collecter des données sensibles. ByteDance dispose alors de neuf mois pour se conformer à cette loi, mais l’entreprise conteste la mesure en justice, arguant qu’elle constitue une atteinte aux droits protégés par le Premier Amendement, notamment pour les 170 millions d’utilisateurs américains de la plateforme.
En décembre 2024, les tensions autour de TikTok s’intensifient alors que l’échéance approche. Le 10 décembre, TikTok annonce qu’elle pourrait être contrainte d’arrêter ses activités aux États-Unis si la Cour suprême ne bloque pas la loi imposant la cession. Quelques jours plus tard, le 16 décembre, l’entreprise dépose un recours d’urgence auprès de la Cour suprême pour tenter de suspendre temporairement cette mesure.
Le lendemain, le président élu Donald Trump, qui avait tenté d’interdire TikTok lors de son premier mandat, change de position. Lors d’une rencontre avec le PDG de TikTok, il exprime son opposition à une interdiction de la plateforme, soulignant qu’elle a joué un rôle clé dans sa campagne électorale en lui permettant de toucher les jeunes électeurs. Il déclare même avoir « un faible pour TikTok », ajoutant qu’il pourrait œuvrer à préserver l’application sur le territoire américain.
Alors que l’échéance du 19 janvier 2025 approche, la Cour suprême est appelée à se prononcer sur la validité de la loi. Lors des plaidoiries du 13 janvier, les juges expriment des préoccupations concernant les risques pour la sécurité nationale, notamment en raison des liens présumés entre TikTok et le Parti communiste chinois. Le gouvernement soutient que même des mesures comme le stockage des données sur des serveurs américains ne garantiraient pas l’indépendance totale de la plateforme. De son côté, TikTok plaide que toute interdiction constituerait une violation de la liberté d’expression, rappelant que l’application est bien plus qu’un simple outil de divertissement : elle est un espace essentiel pour l’expression et l’échange d’idées pour des millions d’Américains.
Si la Cour suprême ne suspend pas la loi d’ici le 19 janvier, TikTok sera interdit aux États-Unis, marquant ainsi une étape décisive dans les tensions entre la Chine et les États-Unis sur la régulation des plateformes numériques. Cette interdiction pourrait également constituer un précédent pour d’autres régulations similaires dans le monde.
Le succès de TikTok repose sur son algorithme révolutionnaire, qui propose un flux continu de courtes vidéos personnalisées. Développé initialement pour Douyin, son application sœur en Chine, cet algorithme a permis à ByteDance de conquérir un public international après le lancement de TikTok en 2017. Cependant, cette technologie, tout en captivant les utilisateurs, a également suscité des préoccupations politiques. Certains législateurs estiment que TikTok est passé d’une simple plateforme de divertissement à une force perturbatrice sur les plans social, politique et économique.
De nombreux gouvernements, du Montana à la Nouvelle-Zélande, pointent du doigt les risques liés à TikTok, notamment la propagation de fausses informations, l’incitation à la violence et les effets négatifs sur la santé mentale. Ils craignent également que les données des utilisateurs, comme leur localisation et leur historique de navigation, ne soient accessibles au gouvernement chinois. Edi Rama a notamment dénoncé les dangers des « pièges effrayants de l'algorithme ».
TikTok affirme que ces préoccupations sont exagérées. La plateforme déclare investir dans des équipes dédiées à la lutte contre les campagnes d'influence et assure que son algorithme reste neutre, en classant les contenus selon les intérêts des utilisateurs. ByteDance insiste sur le fait qu’elle est majoritairement détenue par des investisseurs internationaux, bien que le gouvernement chinois revendique un droit de regard sur toute éventuelle vente.
Le cas de TikTok met en lumière les défis auxquels font face les entreprises technologiques chinoises cherchant à s’étendre à l’international. Si TikTok a prouvé qu’un modèle de divertissement chinois pouvait s’imposer mondialement, il a également déclenché une méfiance accrue envers d'autres applications chinoises, comme Temu et Shein.
Selon Kevin Xu, fondateur d’Interconnected Capital, cette situation oblige les entrepreneurs chinois à jongler avec des enjeux politiques et économiques complexes pour assurer leur avenir. Jianggan Li, PDG de Momentum Works, souligne que d'autres géants mondiaux comme Meta et Google font également face à un examen minutieux, mais échappent à la méfiance envers TikTok en raison de leur origine américaine.
Différentes réponses gouvernementales face à TikTok
- Interdiction totale : Inde et Népal
- En 2020, l’Inde a banni TikTok après une escalade de tensions avec la Chine, privant l’application de son plus grand marché. Cette interdiction a poussé les créateurs indiens à migrer vers d’autres plateformes, notamment YouTube et Instagram, qui ont vu leur audience doubler dans le pays. Au Népal, TikTok a été temporairement bloqué pour refus de limiter les contenus jugés nuisibles à l’« harmonie sociale » ;
Amendes et partenariats locaux : Russie et Indonésie - En Russie, TikTok a été condamné à plusieurs amendes pour ne pas respecter les règles de censure, notamment sur des sujets comme le genre et le féminisme. En Indonésie, l’application a dû suspendre son activité de shopping en ligne après une nouvelle réglementation, avant de reprendre en partenariat avec Tokopedia, un géant local du commerce électronique ;
Restrictions sur les appareils gouvernementaux : divers pays - Plusieurs pays, comme Taïwan, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Australie, ont interdit TikTok sur les appareils officiels pour des raisons de sécurité. Au Canada, le gouvernement a même ordonné la fermeture des bureaux locaux de TikTok, invoquant des risques pour la sécurité nationale.
Alors que TikTok continue de susciter des controverses, la manière dont les gouvernements réagissent face à cette application pourrait influencer le futur des entreprises technologiques chinoises sur la scène internationale.
Ce débat, amplifié par les luttes d'influence entre grandes puissances, reflète une problématique plus large : comment réguler les plateformes globales tout en préservant la liberté d’expression et l’innovation ?
TikTok : entre menace géopolitique et bouc émissaire numérique
Le débat mondial autour de TikTok reflète des tensions profondes et interconnectées entre technologie, géopolitique et société. Les avis recueillis offrent un éventail d’opinions, révélant une fracture entre ceux qui voient la plateforme comme une menace pour la souveraineté nationale et ceux qui y perçoivent une tentative de contrôle par les acteurs dominants.
D’un côté, les préoccupations concernant la sécurité nationale et l’influence étrangère sont légitimes. TikTok, par ses liens avec la Chine, est perçu comme un vecteur potentiel de collecte de données sensibles et de manipulation politique. Les exemples de manipulation électorale en Roumanie ou les restrictions imposées par des gouvernements tels que l’Inde illustrent ces risques. Cependant, comme certains commentateurs l’ont souligné, il est hypocrite de cibler TikTok tout en minimisant des pratiques similaires par des entreprises occidentales comme Meta ou Google, qui ont également été impliquées dans des controverses sur la confidentialité des données et l’ingérence politique.
D’autre part, plusieurs commentaires relèvent une autre dimension importante : la perception de TikTok comme un concurrent économique et culturel. L’idée que Meta, par exemple, ait soutenu des campagnes de lobbying pour freiner la croissance de TikTok révèle une lutte sous-jacente pour la domination des médias sociaux. Ces dynamiques montrent que la géopolitique numérique ne concerne pas uniquement la sécurité nationale, mais aussi le contrôle économique et culturel.
Enfin, la question de la liberté d’expression revient régulièrement. Certains dénoncent l’interdiction de TikTok comme une forme de censure incompatible avec les valeurs démocratiques, en particulier si elle repose sur des motivations politiques ou économiques déguisées en préoccupations de sécurité.
En conclusion, TikTok est bien plus qu’une simple application de vidéos courtes. Il est devenu un champ de bataille où s’affrontent les questions de souveraineté numérique, d’innovation technologique et de liberté d’expression. La solution idéale ne se trouvera pas dans une interdiction pure et simple, mais dans des régulations équilibrées qui protègent à la fois la sécurité nationale et les droits des utilisateurs.
Et vous ?
Quel est votre avis sur le sujet ?
Pourquoi des entreprises comme Meta ou Google, elles aussi accusées de manipulations électorales et de pratiques douteuses en matière de données, ne suscitent-elles pas une réaction aussi radicale ?
L’influence mondiale de TikTok doit-elle être perçue comme une menace culturelle ou comme une opportunité d’échange et de diversité ?
Voir aussi :
Donald Trump estime qu'il pourrait être intéressant de maintenir TikTok aux États-Unis pendant un certain temps, car il a reçu des milliards de vues sur la plateforme pendant sa campagne présidentielle
TikTok annonce un arrêt possible de ses activités aux États-Unis si la Cour suprême maintient la loi imposant sa vente, un précédent potentiel dans la régulation mondiale des plateformes numériques
La Cour suprême a réservé un accueil glacial à TikTok dans sa lutte pour sauver la plateforme, exprimant sa sympathie pour les préoccupations du gouvernement en matière de sécurité nationale
Donald Trump devrait tenter d'empêcher l'interdiction de TikTok : le président élu a promis de "sauver" l'application de médias sociaux, qui doit trouver un propriétaire non chinois au début de l'année 2025