Mustafa Suleyman est l'une des trois personnes qui ont créé le laboratoire d'IA DeepMind, rebaptisée Google DeepMind, à Londres en 2010. L'entreprise a été rachetée par Google pour 400 millions de livres sterling en 2014 et est devenue la pierre angulaire des activités du géant de la recherche dans le domaine de l'IA. Suleyman, 39 ans, a quitté Google il y a 18 mois et a depuis créé une entreprise rivale, Inflection AI. L'entreprise développe un chatbot conversationnel, similaire à ChatGPT, dans le cadre d'une course des entreprises d'IA pour usurper la domination de Google sur le Web. Inflection AI a publié son premier chatbot d'IA, Pi, au début de l'année.
L'on s'attendait à ce que Suleyman, qui fut un cadre important d’Alphabet, la société mère de Google, après qu'elle a racheté DeepMind, prenne la défense de Google, mais il a été très critique envers son ancien employeur. Les critiques de Suleyman interviennent à un moment où Google se défend contre le ministère américain de la Justice (DOJ) dans le cadre d'un procès antitrust historique. Le DOJ tente de prouver que les contrats d'exclusivité conclus par Google avec les fabricants d'appareils et de navigateurs ont injustement exclu les rivaux du marché de la recherche générale en les privant de la distribution. Google rejette toutefois ces accusations.
D'après Suleyman, Google a complètement détruit Internet et l'expérience des utilisateurs du Web. « Le modèle commercial de Google a brisé Internet. Les résultats de recherche sont désormais truffés d'appâts à clics visant à maintenir les internautes dépendants et absorbés par la page aussi longtemps que possible. Les informations [utiles] en ligne sont enfouies au fond d'un tas de verbiage et de bêtises pour que les sites Web puissent vendre plus de publicités, grâce à la technologie de Google », a déclaré Suleyman. Son commentaire rappelle les déclarations de Gabriel Weinberg, PDG de DuckDuckGo, dans le cadre du procès opposant Google au DOJ.
Weinberg a décrit Google comme un monopole qui nuit à la concurrence et aux consommateurs en raison de sa taille et de son emprise sur le secteur technologique. Il a déclaré que les accords conclus par Google avec les fabricants d'appareils, comme Apple et Samsung, pour faire de son moteur de recherche le moteur de recherche par défaut des navigateurs et d'autres plateformes l'empêchaient d'exercer une concurrence efficace. DuckDuckGo, qui ne détient que 0,6 % du marché mondial de la recherche, a tenté de négocier avec d'autres entreprises pour que son moteur de recherche axé sur la protection de la vie privée devienne une option par défaut.
Cependant, il s'est heurté à des refus constants en raison des accords conclus par Google avec ces partenaires technologiques. « Nous avons finalement décidé, après trois ans de tentatives, qu'il s'agissait d'un exercice chimérique en raison des contrats », a-t-il déclaré. Lors de ses témoignages, Weinberg n'a pas divulgué les détails des négociations commerciales, mais il a mentionné des discussions avec des cadres d'Apple. Il a révélé qu'Apple avait envisagé de faire de DuckDuckGo le moteur de recherche par défaut de la navigation privée de Safari, mais que le projet n'a jamais dépassé la phase exploratoire en raison de l'accord entre Google et Apple.
Google a défendu ses partenariats commerciaux en affirmant que les entreprises, dont Apple et Samsung, ont choisi de faire de Google le point d'accès par défaut sur leurs appareils en raison de la qualité supérieure de Google. Google a déclaré que les consommateurs pouvaient facilement ajuster les paramètres de leurs navigateurs pour changer les moteurs de recherche par défaut en faveur d'alternatives telles que DuckDuckGo. Cependant, Weinberg a déclaré que tout changement de moteur de recherche par défaut nécessitait beaucoup plus d'étapes que ne le dit Google. « C'est beaucoup plus difficile que cela ne devrait l'être », a déclaré Weinberg.
Michael Whinston, professeur d'économie au MIT, a également témoigné en tant qu'expert pour le gouvernement américain dans le cadre du procès l'opposant à Google. L'universitaire a déclaré que Google, filiale d'Alphabet, a modifié en 2017 l'algorithme des enchères publicitaires, augmentant les prix de 15 % et faisant probablement gagner à l'entreprise plusieurs milliards de dollars de revenus supplémentaires. Ces allégations s'ajoutent aux précédents témoignages selon lesquelles Google modifie discrètement les requêtes de recherche pour inciter les utilisateurs à cliquer davantage sur des publicités et à dépenser plus d'argent dans des achats en ligne.
Les récentes critiques de Suleyman envers son ancien employeur sont intervenues dans le cadre d'une interview avec The Telegraph. Lors de l'interview, il a également parlé de sa proposition visant à créer un nouvel organisme international chargé de surveiller les menaces liées à l'IA. Suleyman et Eric Schmidt, ancien PDG de Google, prévoient de faire des propositions pour créer un groupe international sur la sécurité de l'IA lors du sommet mondial sur la technologie organisé par le Premier ministre britannique le mois prochain. Le sommet, qui se tiendra les 1er et 2 novembre, devrait réunir des lobbyistes de premier plan de sociétés comme Meta et Google.
Kamala Harris, la vice-présidente des États-Unis, devrait y assister, tandis qu'une délégation chinoise a été invitée. Suleyman affirme que le groupe pourrait s'inspirer du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) pour établir un consensus scientifique sur les capacités actuelles de l'IA. Il a déclaré que le GIEC, créé en 1988, était une "bonne source d'inspiration" pour la mise en place d'un "organisme rigoureux" chargé d'établir des prévisions sur les risques liés à l'IA. Selon l'entrepreneur, le groupe d'experts sur l'IA fournirait aux gouvernements des évaluations régulières sur le niveau de dangerosité de la technologie.
Parmi les autres partisans du projet figurent Reid Hoffman, le fondateur milliardaire de LinkedIn, et Florentino Cuéllar, président du groupe de réflexion Carnegie. Dans son récent ouvrage intitulé "The Coming Wave", Suleyman appelle à "contenir" les avancées de l'IA à haut risque, afin que les gouvernements puissent anticiper les développements susceptibles de menacer les emplois, les élections et la vie humaine. Il a déclaré que les chatbots pourraient "s'attaquer à Google" en fournissant des informations plus précises que les recherches sur Internet. Mais les informations fournies les chatbots sont loin d'être aussi fiables que Suleyman le laisse penser.
Malgré les progrès récents, de nombreux chatbots d'IA souffrent d'erreurs et, dans certains cas, peuvent inventer de fausses informations, ce qui constitue un obstacle à l'affrontement avec les moteurs de recherche. En revanche, ses critiques sur le moteur de recherche de Google ont été soutenues par la communauté. « Il y a 20 ans, les résultats de recherche truffés d'appâts à clics auraient été un euphémisme. Mais aujourd'hui, trouver une information fiable sur Google est un véritable parcours du combattant. La situation est pire que sur les médias sociaux fermés, y compris YouTube de Google. La cupidité de Google a détruit l'expérience de l'utilisateur ».
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Google a-t-il des chances de gagner son procès antitrust contre la justice américaine ?
Selon vous, à quoi pourrait-on s'attendre si Google perdait le procès ?
Que pensez-vous du projet du cofondateur de DeepMind visant à créer un groupe international d'experts en sécurité de l'IA ?
Ce projet est-il viable ? Vise-t-il réellement à promouvoir le développement d'une IA éthique ou à exclure les rivaux du marché ?
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